Questions / Réponses : Croyances des Témoins de Jéhovah

 

 

Gilles-René J. , le mercredi 13 juillet 2011

 

Les Témoins de Jéhovah n'ont-ils pas utilisé le mot croix au lieu de poteau avant de 'revenir' au mot poteau ? Avez-vous des références ?

Les Témoins de Jéhovah utilisent-ils la Bible de Crampon pour corroborer leur vérité ou pour 'avilir' cette version au profit de la leur ? En effet, dans la Bible de Crampon, le mot croix est bien utilisé dans le Nouveau Testament.

Merci de votre compréhension ; personnellement, je me définirais comme témoin de Jésus auprès des Témoins de Jéhovah : j'en rencontre de temps à autre. Merci et à bientôt, Dieu voulant (St Jacques 4/15).


Gilles (Gilles-René) J.

 

 

Réponse à Gilles le mercredi 13 juillet 2011 

 

Cher Monsieur,

Je vous remercie pour ces questions très pertinentes qui touchent directement à la sociologie religieuse. En effet, la sociologie étudie les rapports entre les hommes et l’ensemble des moyens et des signes de reconnaissance qui font qu’ils s’agglomèrent dans des groupes, des associations, des clubs, des partis, des familles, des tribus, des nations, etc. La sociologie des religions vise les faits religieux qui forment et structurent les groupes de croyants. Or, la croix est aujourd’hui un symbole religieux reconnu par toutes les grandes Eglises comme leur point de ralliement au christianisme.

 

Les Témoins de Jéhovah ont utilisé la croix dans cette optique de proclamation de leur christianisme au début de leur histoire puis l’ont abandonnée dans leur démarche protestante restitutionniste ; c'est-à-dire qui veut revenir au christianisme primitif débarrassé de ses scories tardives. Ainsi, c’est parce que les Témoins de Jéhovah revendiquent clairement leur christianisme qu’ils ont abandonné la croix et même condamnent aujourd’hui son usage dans le culte.

  

A propos de l’objet sur lequel le Christ fut supplicié, l’Abbé Crampon rend ainsi le passage des Actes des Apôtres, chapitre 5, verset 30 : «Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous avez fait mourir en le pendant au bois. » Dans un autre passage du même livre (10, 39), il traduit : « Pour nous, nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans les campagnes de la Judée et à Jérusalem. Ensuite ils l’ont fait mourir en le pendant au bois. »  Le chanoine rend ainsi cet autre passage de l’Epitre de Saint Paul aux Galates, chapitre 3, verset 13 : « Le Christ nous a racheté de la malédiction de la Loi, en se faisant malédiction pour nous, - car il est écrit : « Maudit quiconque est pendu au bois. » (…). » Saint Paul cite ici un verset du Pentateuque, Deutéronome 21, 22, 23 : « Quand un homme ayant commis un crime capital aura été mis à mort, et que tu l’auras pendu à un bois, son cadavre ne passera pas la nuit sur le bois ; mais tu ne manqueras pas de l’enterrer le jour même, car un pendu est l’objet de la malédiction de Dieu, et tu ne souilleras pas ton pays, que Jéhovah, ton Dieu, te donne pour héritage. »

- La Sainte Bible, Traduction d’après les textes originaux par l’Abbé A. Crampon, Chanoine d’Amiens, Edition révisée par des Pères de la Compagnie de Jésus avec la collaboration de Professeurs de Saint Sulpice, Edition 1905.

 

Le mot rendu par l’Abbé Crampon dans ces différents passages est le mot grec « xylon ». Ce terme désigne en grec du “bois coupé et prêt à être utilisé, bois de chauffage, bois de construction, etc. (...), pièce de bois, bûche, poutre, pieu, (...) gourdin, bâton, (...) poteau sur lequel les criminels étaient empalés, (...) bois sur pied, arbre.”

- Greek-English Lexicon, Liddell et Scott, Oxford, 1968, pp. 1191, 1192.

 

Un autre mot grec est utilisé dans la Bible pour parler du bois comme instrument de torture du Christ, le mot stauros, rendu généralement par le mot français croix, du latin crux.

 

Crux, ucis, f., 1. Croix, gibet (…).

- Félix Gaffiot, Dictionnaire illustré latin français, Hachette, 1934.

 

En grec classique, ce terme désigne un poteau dressé, ou pieu. Ce n’est que plus tardivement qu’il s’est appliqué aussi à un poteau d’exécution muni d’une traverse.

 

Le dictionnaire encyclopédique QUILLET, une référence encyclopédique de langue française, donne cet historique de la croix :

« Hist. I. Presque tous les peuples de l’Antiquité ont, dès les premiers temps de leur histoire, employé la croix comme instrument de supplice ; cet usage prit vraisemblablement naissance en Orient. Les Égyptiens (…) le connaissaient. (…) A Rome, on en vint à regarder ce supplice comme le plus ignominieux de tous les genres de mort (…). Après avoir embrassé le christianisme, Constantin, par respect pour Jésus-Christ, défendit d’infliger à l’avenir le supplice de la croix aux criminels.

II. La croix n’était pas toujours faite de la même manière. Quelquefois c’était une simple poutre ou un tronc d’arbre sur lequel le condamné était attaché, les mains croisées au dessus de la tête. (…). »

- Dictionnaire encyclopédique Quillet, croix, tome Cot-Es, Editions Quillet, 1988, p.1614.

 

Emile Littré définit la croix ainsi : «1. Sorte de gibet où l’on attachait, dans l’antiquité, certains criminels. (…) 2. Le bois même où Jésus-Christ fut attaché. (…) 3. Par extension, le christianisme. (…). »

- E. Littré, Dictionnaire de la langue française, croix, tome 1. a.b.c., Editions Encyclopaedia Britannica, 1978, p.1354.

 

Ainsi, il n’y a aucune preuve décisive que le Christ fut pendu sur une croix mais le texte penche plutôt pour un tronc d’arbre, une poutre ou un pieu. En fait, Jésus-Christ subit très vraisemblablement le supplice du pal.

 

Ceci dit, la croix est un signe de reconnaissance très ancien lié à la formation progressive de l’Eglise (catholique). Mais il est bien plus vieux que cela. C’est un symbole clairement issu du paganisme. Constantin le Grand, lui-même adorateur du soleil sous la forme du dieu Mithra, désirait convertir son empire au christianisme. Il utilisa le syncrétisme religieux pour parvenir à ses fins. Utiliser la croix, vieux symbole païen pour faire adhérer ses sujets à la nouvelle religion officielle de l’empire romain était un moyen astucieux. Ce signe de reconnaissance et de ralliement leur était familier.

 

« Ces croix symbolisaient le dieu-soleil à Babylone, et elles sont apparues pour la première fois sur une monnaie de Jules César (100-44 av. n. è.), puis sur une monnaie frappée par son héritier, Auguste, en 20 avant notre ère. Du temps de Constantin, les pièces portaient généralement le symbole, mais on rencontre aussi le même emblème sans le cercle qui l’entoure et avec quatre branches égales se coupant à angle droit; on le vénérait comme la ‘roue solaire’. Il faut dire que Constantin était un adorateur du dieu-soleil, et qu’il n’est entré dans l’‘Église’ qu’un quart de siècle après avoir eu la vision de la croix dans les cieux.”

-The Companion Bible, appendice no 162.

 

 

Au début de leur histoire, les Témoins de Jéhovah utilisaient la croix sur leurs publications. Ils portaient même une petite broche portant une croix dans une couronne pour rappeler qu’ils annonçaient la bonne nouvelle du Christ intronisé comme roi depuis 1914. Rien n’indique cependant qu’ils faisaient le signe de croix. Puis, ils découvrirent dans le cadre de leurs recherches bibliques que la croix est un symbole païen adopté tardivement par le christianisme, ce qui par ailleurs est exact.

 

Les arguments que les Témoins de Jéhovah utilisent aujourd’hui pour condamner l’utilisation de la croix dans le culte chrétien sont les suivants :

 

1. La vénération de la croix n’est pas biblique.

- Exode 20, 4, 5 : «  Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qui ressemble à ce qui est dans les cieux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux, au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas. »

La Bible de Jérusalem, Les Editions du Cerf, 1984.

- « La représentation de la mort rédemptrice du Christ au Golgotha n’apparaît pas dans l’art symbolique des premiers siècles chrétiens. Influencés par l’interdiction de faire des images taillées, interdiction contenue dans l’Ancien Testament, les premiers chrétiens se refusaient à représenter l’instrument de la Passion du Seigneur. »

New Catholic Encyclopedia, tome IV, 1967, p. 486.

« [Les chrétiens du Ier siècle] n’utilisaient pas le crucifix ni aucune autre représentation matérielle de la croix. »

J. Hurst, History of the Christian Church, New York, 1897, tome I, p. 366.

 

2. Chérir la croix ou l’adorer revient au même : c’est une aberration au plan moral.

Voilà leur raisonnement : Quels seraient vos sentiments si l’un de vos amis les plus chers était exécuté sous de fausses accusations? Vous feriez-vous une réplique de l’arme ayant servi à son exécution? La vénéreriez-vous ou au contraire la fuiriez-vous?

 

Que l’on soit d’accord ou pas avec leurs arguments, ils ne manquent cependant pas d’une certaine pertinence, y compris au plan de la recherche universitaire.

  

Ainsi, à votre première question selon laquelle les Témoins de Jéhovah utilisaient le mot croix, je le confirme nettement en disant que non seulement ils utilisaient le mot croix mais aussi le symbole de la croix tout court et ce d’une façon très ostensible au début de leur histoire (dernier tiers du dix neuvième siècle).

 

Puis, au fil de leurs recherches, ils en vinrent à conclure au caractère païen de ce symbole, l’abandonnèrent et enfin, condamnèrent son utilisation dans le culte chrétien. D’ailleurs, c’est certainement pour ce genre de raison y compris leur rejet de la Trinité, que les grandes Eglises traditionnelles refusent de les reconnaître comme chrétiens. Pourtant, on ne peut nier le caractère réellement chrétien de leur engagement (voir http://barbeyphilippe.jimdo.com/l-adventisme-le-protestantisme-et-les-racines-chrétiennes-des-témoins-de-jéhovah/ ).

 

A votre seconde question, je répondrais qu’à ma connaissance, les Témoins de Jéhovah ont un grand respect pour la Bible, quelque soit sa traduction. Ils aiment particulièrement utiliser la Bible de l’Abbé Crampon dans son édition non révisée de 1905 parce que le chanoine catholique y traduit systématiquement le tétragramme par le nom de Dieu en français classique, Jéhovah.

 

Je souhaite sincèrement que ces quelques lignes auront répondu à vos interrogations.

Cordialement, Philippe Barbey.

  

Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., Les Témoins de Jéhovah et la croix, Focus sociologique, consulté le [date].

 

 

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