Les Témoins de Jéhovah en Europe

 Une présence forte dans un espace déchristianisé

 

« Les spécialistes estiment que fort peu de gens se rendent régulièrement à un office religieux, même si seulement 4% de la population européenne se déclare athée. Les croyances religieuses ne sont pas pour autant absentes de l’espace public ; et leurs manifestations défraient régulièrement la chronique. »[1] C’est le constat que dresse Catherine Haguenau-Moizard à propos des religions en Europe.

 

Et de dresser un tableau intitulé Appartenance religieuse. On constate d’après ce tableau qui date de 2000 qu’il y avait 151.865.000 catholiques, 31.720.600 protestants, 1.800.000 anglicans, 890.700 juifs, 7.844.500 musulmans au total dans 6 pays d’Europe, à savoir la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie, la Belgique. Les bouddhistes ne sont pas comptabilisés et les Témoins de Jéhovah non plus.

 

Les Témoins de Jéhovah sont pourtant en 2014 1.420.200 dans ces 6 pays (France 220.600, Royaume-Uni (Grande-Bretagne) 230.500, Allemagne 270.600, Espagne 195.600, Italie 458.300, Belgique 44.600). Les Témoins de Jéhovah sont donc très présents en Europe, et depuis plus d’un siècle maintenant [2]. Ils sont même présents dans tous les pays de l’Europe géographique comme l’attestent les tableaux ci-dessous.

 

« La Grèce est le pays le plus souvent condamné par la Cour européenne des droits de l’homme pour avoir violé les libertés ethniques et religieuses, explique Panayote Dimitras, porte-parole du Greek Helsinki Monitor [Comité grec de Helsinki, une instance chargée de veiller au respect des droits de l’homme]. Elle a été condamnée à Strasbourg pour infraction sur les droits des Turcs, des Macédoniens, des musulmans, des catholiques, des protestants [dont plusieurs Témoins de Jéhovah]. »[3]

 

Une directive européenne interdit la mention de la confession religieuse sur les papiers d’identité. La Grèce, en tant que membre de l’Union européenne, est donc sommée de s’aligner sur la norme européenne en « laïcisant » ses documents d’identité. Avec 98% de Grecs se déclarant orthodoxes, les fidèles de cultes minoritaires étaient frappés de discrimination religieuse. Bruxelles a donc interdit la pratique de la mention de la religion sur les papiers. L’archevêque Christodoulos, furieux, a déclenché la guerre sainte contre le gouvernement grec qui veut obtempérer à la directive.  A noter que la constitution grecque est placée sous la protection de « la sainte et indivisible Trinité ».

 

D’un autre côté, la France a fait retirer la référence à « l’héritage religieux » de l’Europe dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, remplacé par la mention d’un patrimoine « spirituel » commun [4]. Soixante-dix personnalités, dont Jacques Delors et Roselyne Bachelot, montent au créneau et signent un appel dénonçant le « climat de crispation et de méfiance » à l’encontre des religions en France.

 

                           

             Présence des Témoins de Jéhovah dans l'Union Européenne (en 2014) [5] :

 

 

28 Pays 

 

Population totale

 

 

Militants

 

Total des fidèles   

[militants et sympathisants]

 

Allemagne

Autriche

Belgique 

Bulgarie 

Chypre

Croatie

Danemark

Espagne

Estonie

Finlande

France

Grande-Bretagne

Grèce

Hongrie

Irlande

Italie

Lettonie

Lituanie

Luxembourg

Malte

Pays-Bas

Pologne

Portugal

Roumanie

Slovaquie

Slovénie

Suède

Tchéquie

 

Union Européenne

 

Témoins de Jéhovah

 

 

80.780.728

504.850

11.132.269

7.284.500

885.600

4.470.534

5.369.719

46.182.000

1.315.819

5.451.270

63.928.608

62.300.000

10.787.690

9.877.000

6.632.765

60.762.668

2.001.468

2.928.897

549.680

425.000

16.859.353

38.485.779

9.976.649

21.290.000

5.417.750

2.054.000

9.705.005

10.521.646

 

505.881.247

 

 

 

166.262

21.319

25.839

2.241

2.526

5.489

14.664

112.493

4.186

18.710

127.961

138.515

28.832

23.181

6.428

251.650

2.365

3.184

2.068

663

30.285

123.177

49.402

40.605

11.367

1.943

22.730

15.617

 

 

 

1.253.702

 

270.683

34.521

44.635

5.954

4.683

9.315

21.814

195.673

6.875

26.669

220.643

230.577

48.218

41.952

11.856

458.329

3.725

5.451

3.939

1.164

52.452

201.135

95.575

83.419

21.345

3.160

36.270

26.386

 

 

 

2.166.418

 

 

         Présence des Témoins de Jéhovah en Europe non-communautaire [6] :

            pays non-membres de l'UE mais membres du Conseil de l'Europe

 

 

19 Pays 

 

Population totale

 

 

Militants

 

Total des fidèles   

[militants et sympathisants]

 

Albanie

Andorre

Arménie

Azerbaïdjan

Biélorussie

Bosnie-Herzégovine

Géorgie

Islande

Liechtenstein

Macédoine

Moldavie

Monténégro

Norvège

Russie

Saint-Marin

Serbie

Suisse

Turquie

Ukraine

 

Europe hors UE

 

Témoins de Jéhovah

 

3.204.000

78.000

3.026.900

9.447.100

9.468.000

3.871.643

4.490.500

317.351

37.132

2.091.719

3.466.000

631.490

5.137.679

143.930.000

32.000

8.118.146

8.139.631

75.600.000

44.770.717

 

325.858.008

 

 

 

 

5.351

175

11.143

1.282

5.767

1.212

18.595

376

91

1.342

20.055

274

11.756

171.268

207

3.892

19.106

2.465

150.906

 

 

 

388.073

 

13.151

328

23.844

2.616

10.247

2.123

32.731

670

136

3.146

38.324

700

18.150

292.058

350

8.552

32.145

4.619

262.321

 

 

 

746.211

 

  

                          Présence des Témoins de Jéhovah en Europe :

 

 

47 Pays 

 

Population totale

 

 

Militants

 

Total des fidèles   

[militants et sympathisants]

 

Population européenne

 

Témoins de Jéhovah européens

 

 

831.739.255

 

 

 

 1.641.775

 

 

 

 2.912.629

 

 

Avec une population totale en Europe de 831.739.255 habitants, la religion chrétienne antitrinitaire Témoin de Jéhovah  est forte de 2.912.629 fidèles, soit 0,35 % de la population européenne totale. Au plan européen, ce groupe« d’inspiration judéo-chrétienne » est considéré comme une religion par la Cour européenne des droits de l’homme [7]. Au Royaume-Uni, les Témoins de Jéhovah possèdent même le statut de Charity [8]. La France leur reconnaît un statut fiscal religieux et les exonère par exemple de la taxe foncière sur leurs lieux de culte  (Salles du Royaume).

 

En France, en Allemagne, en Russie et en Italie, les Témoins de Jéhovah ont maintenant une longue histoire, une longue histoire aussi de persécutions religieuses parfois sournoises, parfois terriblement brutales. En corollaire, leur résistance spirituelle pour leur foi unitarienne a été farouche et inflexible. Dans ces pays d’Europe, ils construisent progressivement une identité cultuelle et se sont engagés dans un processus de reconnaissance légale. L’Union européenne élabore de son côté un système juridique qui prend peu à peu en compte leurs aspirations religieuses.

 

Le système du droit européen prévoit et garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion et le droit de pratiquer et de manifester sa religion en public ou en privé à toute personne, sauf atteinte à l’ordre, à la santé, à la morale publiques ou à la protection des droits et libertés d’autrui (Convention européenne, article 9). Personne ne peut être puni pour le seul fait d’être membre d’un groupe religieux. En effet, en démocratie, il est admis  que l’on peut partager et diffuser des croyances différentes de celles de la majorité.

 

Le Conseil d’État français a construit au fil du temps une jurisprudence pour l’octroi des avantages fiscaux et financiers à des associations cultuelles (selon la loi du 9 décembre 1905)[9]. Les critères retenus sont les suivants :

 

1. caractère exclusivement cultuel des activités de l’association,

2. ancienneté « suffisante » du mouvement religieux,

3. caractère de grande religion mondiale,

4. but non lucratif et non « guérisseur »,

5. respect de la liberté individuelle et des principes de la société.

 

La France étant un grand pays européen, il est probable que sa jurisprudence se transposera aussi en droit européen, sauf en cas d’atteinte par ce pays aux libertés individuelles. « S’il doit y avoir un droit européen des religions, il sera probablement constitué par des principes très larges, capables de comprendre les différentes législations des États membres de l’Union. »[10]

 

« L’Italie et le Danemark (…) accordent une certaine reconnaissance aux Témoins de Jéhovah. Ces deux pays sont en quelque sorte à l’avant-garde du mouvement qui se dessine dans nombre de pays européens vers une reconnaissance de la légitimité de ce groupe. »[11] Comme le montre le tableau suivant, « Les Témoins de Jéhovah sont en train de conquérir une certaine légitimité dans tous les pays de l’Union européenne (…). »[12]

 

La reconnaissance progressive des Témoins de Jéhovah

 par les pays de l’Union européenne

 

Régime de reconnaissance au sens large du terme (Belgique, Luxembourg, France (droit local Rhin et Moselle), Italie, Espagne, RFA, Autriche)

 

 

Exemples :

France 

 

 

 

Italie

 

 

Loi du 9 décembre 1905   

 

 

Loi de 1929

 

 

exonération de la taxe foncière

exonération de la taxe locale d’équipement

 

enregistrement sur le registre des confessions religieuses

 

Régime d’Églises nationales (Finlande, Danemark, Suède, Grande-Bretagne)

 

 

Exemple : 

Danemark 

 

 

1970

 

 

autorisation ministérielle aux fins de conclure des mariages religieux ayant des effets civils

 

Système de soutien à une seule religion (Grèce, Portugal)

 

 

Exemple :

Grèce

 

 

Constitution, article 13, §2 : « Une religion exerçant un culte doit être « connue ». Elle ne doit pas avoir de croyances secrètes ou de pratiques contraires à l’ordre public et aux bonnes mœurs. » Le prosélytisme est interdit par la Loi (loi de 1938, n°1363 et loi de 1939, n°1672).  La Grèce a été condamnée pour avoir emprisonné à maintes reprises un Témoin de Jéhovah ‘jugé coupable de prosélytisme’ (Arrêt Kokkinakis contre Grèce, 25 mai 1993, série A, n°260-H). L’activité d’évangélisation domiciliaire des Témoins de Jéhovah n’a pas été considérée comme du prosélytisme ‘abusif’ mais comme une manifestation publique de croyances religieuses garantie par l’Union européenne. Le 26 septembre 1996, la Grèce est  condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme qui rappelle que la confession des Témoins de Jéhovah remplit les conditions d’une « religion connue ».

 

 

Sources : F. Messner, La législation cultuelle des pays de l’Union européenne face aux groupes sectaires, in F. Champion, M. Cohen, (sous la direction de), Sectes et Démocraties, Paris, Seuil, pp. 331-358.

 

 

En France, les Témoins de Jéhovah, dans le cadre d’une longue quête juridique, ont fait reconnaître le caractère exclusivement cultuel de leurs associations [13], ont rapporté la longévité de leur religion (plus d'un siècle en France) [14], ont démontré le caractère mondial de leur culte implanté et enregistré légalement dans la quasi-totalité des pays du monde [15], ont fait constater le but non lucratif et non « guérisseur » de leur religion [16] et enfin, ont obtenu du Conseil d’État la reconnaissance du fait qu’ils ne troublent en aucune façon l’ordre public ni n’attentent à la liberté individuelle [17]. De fait, les Témoins de Jéhovah en France ont acquis la « grande capacité juridique » ce qui les place dans la même position juridique que l’Église catholique dans ce pays.

 


[1] C. Haguenau-Moizard, Etats et religions en Europe, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble (PUG), 2000, pp.5-7.

[2] Droits de l’Homme sans frontières, communiqué de presse, 02 juillet 1998 : « La congrégation chrétienne des Témoins de Jéhovah (…) est en fait et en droit bien établie [comme] une religion internationalement connue. La Cour européenne des Droits de l’Homme l’a d’ailleurs rappelé le 25 mai 1993 dans l’un de ses arrêts les plus éloquents depuis sa fondation. Dans l’affaire Kokkinakis c/Grèce, elle a déclaré que les Témoins de Jéhovah formaient une religion connue (résolution DH 576 adoptée le 15 décembre 1995 par le Conseil des Ministres de l’Europe). »

[3]  Grèce, La dictature des popes, Marianne, n° 177, 11 au 17 septembre 2000, pp. 42-45.

[4] Appel des politiques et intellectuels contre les « crispations » antireligieuses, Agence France Presse (AFP), communiqué du 06/10/2000.

[5] Annuaire des Témoins de Jéhovah 2015, Rapport mondial pour l'année de service 2014. 

[6] Annuaire des Témoins de Jéhovah 2015, Rapport mondial pour l'année de service 2014. 

[7] C. Haguenau-Moizard, Etats et religions en Europe, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble (PUG), 2000, pp.128-129.

[8]  The Kingdom Hall Trust, The Ridgeway, London NW7 1RN, United Kingdom, registered in England as a Charity (Organisme de bienfaisance enregistré en Angleterre).

[9] F. Champion, M. Cohen, (sous la direction de), Sectes et Démocraties, Introduction, Paris, Seuil, pp. 378-379.

[10] S. Ferrari, Le droit européen en matière religieuse et ses conséquences pour les sectes, in F. Champion, M. Cohen, Sectes et Démocraties, Paris, Seuil, p. 360.

[11] F. Champion, M, Cohen, (sous la direction de), Sectes et Démocraties, Introduction, Paris, Seuil, p. 51.

[12] F. Messner, La législation cultuelle des pays de l’Union européenne face aux groupes sectaires, in F. Champion, M. Cohen, Sectes et Démocraties, Paris, Seuil, p. 358.

[13] Jugements des Cours administratives d’appel de Marseille et de Lyon des 5 et 6 octobre 1999 : « Les associations locales des Témoins de Jéhovah sont bien des associations cultuelles au sens de la loi du 9 décembre 1905. »  Conseil d’État, 13 janvier 1993 : « Les édifices à usage cultuel des associations des Témoins de Jéhovah sont constitutifs de l’exercice public d’un culte. » La Cour administrative d’appel de Nancy rend le 20 janvier 200 une série de 26 arrêts qui prennent acte du caractère cultuel des associations locales des Témoins de Jéhovah.

[14]  Historique de l’œuvre des Témoins de Jéhovah de France, Les Témoins de Jéhovah, site Internet officiel.

[15]  Annuaire des Témoins de Jéhovah 2015, Rapport mondial pour l'année de service 2014. 

[16] Le financement des Témoins de Jéhovah : allégations et faits, Analyse du rapport de la commission d’enquête parlementaire : Les sectes et l’argent, Les Témoins de Jéhovah, site Internet officiel.

[17] Conseil d’État, 23 juin 2000 : « Considérant, d’autre part, qu’après avoir souverainement relevé, par une appréciation qui n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de cassation, qu’il ne résultait de l’instruction, ni que ladite association ait fait l’objet de poursuites ou d’une dissolution de la part des autorités administratives et judiciaires, ni qu’elle ait incité ses membres à commettre des délits, en particulier celui de non-assistance à personne en danger, la cour a pu, sans entacher son arrêt d’erreur de qualification juridique (…) que ladite association était en droit de bénéficier (…) de l’exonération prévue à l’article 1382 du code général des impôts. »

 

Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., Les Témoins de Jéhovah en Europe : Une présence forte dans un espace déchristianisé, Focus sociologique, consulté le [date].

 

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