Le mémorial (la Pâque chrétienne)

  

Le mémorial [1] est un moment de grand recueillement. C’est la commémoration solennelle de la mort et de la résurrection de Christ. Le mémorial représente le rappel du salut des humains grâce à la rançon versée par Jésus, rançon sous la forme de son corps et de son sang [2]. Pourquoi les humains ont-ils besoin d’une rançon ? 

 

C’est une doctrine sur laquelle le pasteur Russell insistait comme pierre angulaire de la foi chrétienne. C’est d’ailleurs cela qui causa sa rupture avec Nelson Barbour qui commençait à professer des idées unitariennes niant le besoin impérieux d’une rançon. Pour les chrétiens, Adam, le premier homme, est mort de son péché contre Dieu, de sa désobéissance envers Lui. Il perdit le prix de la vie parfaite et éternelle pour lui et pour ses descendants. En mourant dans l’obéissance et en donnant sa propre vie parfaite et sans péché, Jésus paya une contre-valeur pour les humains pécheurs descendant d’Adam. Cette rançon ouvre donc à l’humanité l’espérance de la vie éternelle.

 

Les Témoins de Jéhovah préparent cette célébration avec beaucoup de soin. Elle est annoncée longtemps à l’avance. Des invitations sont imprimées spécialement pour l’occasion. Des communiqués sont envoyés aux média et la presse annonce souvent l’événement. Les revues jéhovéennes Réveillez-vous !  et La Tour de Garde l’annoncent aussi en pleine page.

 

Le mémorial a lieu à des dates différentes chaque année. C’est une fête mobile pour les Témoins de Jéhovah. En effet, ils pensent qu’il s’agit bien d’un anniversaire, l’anniversaire du don que Christ, l’agneau de Dieu, a fait de sa vie pour les hommes. Hors, les juifs fêtaient la Pâque le 14 du moins de nisan et Jésus instaura le mémorial ce même jour [3]. Comment recalculer cette date anniversaire dans notre calendrier ?

 

Les Témoins de Jéhovah s’expliquent [4]. Jésus avait dit: « J’ai grandement désiré manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. »[5] Il institua ensuite le Repas du Seigneur, que ses disciples allaient devoir observer pour commémorer sa mort [6]. La Pâque était fêtée une fois l’an. Il leur paraît donc logique de célébrer le Repas du Seigneur une fois tous les ans au printemps, au moment de la Pâque, c’est-à-dire le 14 nisan (selon le calendrier juif), et non pas systématiquement le vendredi parce que c’est le jour de la semaine où Jésus mourut.

 

D’après eux, l’apôtre Paul devait donc certainement avoir en tête la date du 14 nisan quand il écrivit: « Toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous continuez à annoncer la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. »[7] « Pendant les deux siècles suivants, de nombreux chrétiens restèrent fidèles au 14 nisan pour le Mémorial; on les appelait Quartodécimans, nom dérivé du mot latin signifiant “quatorzième”. McClintock et Strong déclarent à ce propos: “Les Églises d’Asie Mineure célébraient la mort du Seigneur le jour correspondant au 14e du mois de nisan, jour où, de l’avis de toute l’Église antique, la crucifixion eut lieu. »

 

C’est pourquoi, les Témoins de Jéhovah célèbrent le Repas du Seigneur chaque année à la date correspondant au 14 nisan [8]. Le Collège central des Témoins de Jéhovah utilise une méthode ancienne pour déterminer la date du Repas du Seigneur ou Mémorial [9]. Ce soir-là, après le coucher du soleil, tous les Témoins de Jéhovah, fidèles, militants, sympathisants et leurs enfants se réunissent dans leurs salles du Royaume à travers le monde entier. Cette soirée est pour eux très particulière. C’est l’occasion de faire le point avec leur Dieu. Beaucoup d’entre eux font un grand ménage chez eux à la manière des juifs à  cette même époque de la Pâque. Ils s’habillent souvent encore mieux que d’habitude pour leurs cultes ordinaires.

 

Sur une table recouverte d’une nappe blanche sont déposés des verres contenant du vin rouge et des assiettes dans lesquelles sont disposés des morceaux de pain azymes déjà rompus. Le vin et le pain sans levure utilisés ce soir là ne sont que des emblèmes, des symboles ou des représentations. En effet, les Témoins de Jéhovah, dans la tradition protestante zwinglienne, rejettent catégoriquement la doctrine de la transsubstantiation [10].

 

L’ancien désigné pour prononcer le discours du mémorial explique la compréhension jéhovéenne du sens et du déroulement de la cérémonie : Dieu fit écrire à certains de ses serviteurs du passé que la terre a été créée pour être habitée et que les hommes droits résideront sur elle pour toujours.[11] Mais comment les ‘vrais’ adorateurs obtiendraient-ils ce salut s’ils mouraient? Dieu les ramènerait à la vie sur la terre. Job, par exemple, exprima l’espoir que le Créateur se souvienne de lui et le rappelle à la vie [12]. Pour les Témoins de Jéhovah, une des formes du salut mène donc à la vie éternelle sur la terre[13] durant le règne millénaire du Christ à venir (millénarisme).

 

Pour eux et toujours selon leur compréhension, la Bible parle aussi du salut pour la vie au ciel, où Jésus Christ est monté après sa résurrection. « Il est à la droite de Dieu, car il est allé au ciel; et anges, et autorités, et puissances lui ont été soumis. »[14] Jésus ne doit pas être le seul humain emporté au ciel. Dieu a décidé d’en prendre également d’autres de la terre, un nombre relativement petit. Ce serait pour cette raison que Jésus déclare aux apôtres: « Dans la maison de mon Père il y a beaucoup de demeures. (...) je m’en vais vous préparer une place. Et si je m’en vais et que je vous prépare une place, je reviens et je vous accueillerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. »[15] Ce petit groupe de chrétiens, le petit troupeau, choisit par Dieu est constitué de 144.000 membres, à commencer par les 12 apôtres[16]. Ceux-là, choisis ou oints par Dieu, régneront avec le Christ dans les cieux. Ils administreront la terre pendant 1000 ans et dirigeront les hommes pour qu’ils fassent de la planète un nouveau paradis.

 

Ainsi, la théologie jéhovéenne propose la vie éternelle à tous les humains : pour leur grande majorité, la vie éternelle dans un cadre terrestre parfait, pour un petit nombre limité la vie céleste immortelle avec le Christ et Dieu, espérances céleste ou terrestre rendues possibles grâce au sacrifice rédempteur de Jésus. C’est tout cela que doit rappeler la célébration du mémorial.

 

La cérémonie par elle-même est simple. Elle débute par le chant d’un cantique choisi pour ce moment solennel [17]. Puis, le président de la soirée prononce une prière. Un ancien rappelle ensuite les raisons du rassemblement [18]. Le pain, après avoir été béni par une prière, circule parmi les assistants. Puis, après une autre prière de bénédiction, c’est le passage de la coupe de vin. Seuls ceux qui se considèrent comme membres oints consomment du pain et boivent du vin [19]. A la fin du service qui aura duré une heure environ, un dernier cantique est chanté et une prière finale est prononcée.

 

Ce point culminant du culte des Témoins de Jéhovah leur permet aussi de se compter [20]. Si des personnes viennent pour la première fois, des dispositions sont prises pour leur apporter des explications supplémentaires. On leur fait visiter le lieu de culte. Les membres de la congrégation s’attardent longtemps après la célébration. On discute beaucoup et l’ambiance est chaleureuse.

 

La célébration du mémorial chez les Témoins de Jéhovah est donc l’occasion d’exprimer leur croyance fondamentale : Le Christ, Fils unique-engendré du Dieu Tout-puissant, sauve tous les humains en donnant pour eux sa vie humaine parfaite. C’est leur façon de donner la preuve la plus claire de leur christianisme.

 


[1]  A. Marchadour, Le mot de la Bible : Mémorial, Le Pèlerin magazine, n° 5961, 28 février 1997, p. 4 : « Les mots « souvenir », « mémorial » expriment en hébreu des réalités plus fortes qu’en français. Il ne s’agit pas simplement de rappeler un fait du passé. Le mémorial a le pouvoir de rendre présent ce qu’il rappelle. Célébrer la Pâque, c’est rendre efficace et présent ce qui s’est passé en Egypte autrefois (Ex.12, 14) ; c’est devenir contemporain des fils d’Israël. Jésus demande de faire mémoire du geste qu’il accomplit la dernière nuit au cours d’un repas. Célébrer l’eucharistie, c’est rendre présent ce geste et en recueillir aujourd’hui les fruits : « faites ceci en mémoire de moi. » (…). »

[2] TOB,  Éphésiens 1, 7 : « En lui, par son sang, nous sommes délivrés, en lui, nos fautes sont pardonnées, selon la richesse de sa grâce. »

[3] P. Alexander (et coll.), Le Monde de la Bible, Lion Publishing, Tring, Herts, Angleterre, 1978, p.150 : « Jésus institua ce repas communautaire lors de la dernière pâque qu’il mangea avec ses disciples avant sa mort. La fête de la pâque rappelait aux Juifs la libération de l’Egypte, tout en anticipant la venue du royaume de Dieu. La cène est aussi un repas commémoratif – le pain et le vin évoquant la mort de Jésus. Mais on la mange en attendant son retour. « Vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne, écrit Paul. »

[4]  Du Séder au salut, La Tour de Garde, 15 février 1990, pp. 10-15.

[5]  TMN, Luc 22,15.

[6]  TMN, Luc 22,19-20.

[7]  TMN, 1 Corinthiens 11, 26.

[8] Cependant, la date que les Témoins de Jéhovah retiennent ne correspond pas toujours à celle à laquelle les Juifs fêtent leur Pâque. Quelle en est la raison?  Le jour hébreu allait du coucher du soleil (vers 18 heures) au coucher de soleil suivant. Dieu ordonna de tuer l’agneau pascal le 14 nisan, « entre les deux soirs ». Les Juifs suivent la conception rabbinique selon laquelle l’agneau doit être égorgé vers la fin du 14 nisan, entre le moment où le soleil commence à décliner (vers 15 heures) et le coucher du soleil proprement dit. En conséquence, ils célèbrent le Séder après le coucher du soleil, quand le 15 nisan a débuté. Mais, les Témoins de Jéhovah comprennent cette expression différemment. En Deutéronome 16:6, il est dit que les Israélites devaient immoler « le sacrifice pascal sur le soir, au coucher du soleil » (Rabbinat français). Ces paroles démontreraient que l’expression « entre les deux soirs » désigne le crépuscule, du coucher du soleil (qui marque le début du 14 nisan) à l’obscurité totale. C’est ainsi que les Juifs caraïtes de l’Antiquité comprenaient cette expression et que les Samaritains la comprennent encore de nos jours. C’est entre autres parce que les Témoins de Jéhovah reconnaissent que l’agneau pascal était sacrifié et mangé au « temps fixé », le 14 nisan, et non le 15, que la date à laquelle ils célèbrent le mémorial diffère parfois de celle de la Pâque juive.

[9] La Tour de Garde, 15 septembre 1977, pp. 575 et 576. Le 1er nisan correspond au jour où la nouvelle lune la plus proche de l’équinoxe de printemps est susceptible d’être visible au coucher du soleil à Jérusalem. En comptant 14 jours à partir de cette date, on aboutit au 14 nisan, qui correspond généralement au jour de la pleine lune. C’est cette méthode qui  permet au Collège central d’aviser suffisamment à l’avance les Témoins de Jéhovah du monde entier de la date du Mémorial.

[10] J. Baubérot, Histoire du protestantisme, Paris, PUF, 1987, p.4 : « Le colloque de Marbourg [octobre 1529, entre Luther et les Saxons, Zwingli et les Suisses, Martin Bucer et les Strasbourgeois] se termine par un  texte comprenant 15 articles. L’entente est réalisée sur les 14 premiers. Le quinzième concerne la Cène. Il y a consensus pour la communion sous les deux espèces et pour le rejet de la transsubstantiation (doctrine selon laquelle la consécration du pain et du vin produit une conversion de leurs substances en substances du corps et du sang du Christ). Tout en pensant unanimement que les espèces du pain et du vin de la Cène sont matériellement du pain et du vin, les participants divergent sur la façon de définir la présence du Christ. (…) Pour Zwingli et les Suisses, la formule de Jésus : « ceci est mon corps » veut dire : « Ceci signifie mon corps. » La Cène est un mémorial de la mort du Christ et un symbole de sa présence aujourd’hui (doctrine sacramentaire). »

[11]  TMN, Psaume 37, 9-11; Proverbes 2, 21-22; Isaïe 45,18.

[12]  TMN, Job 14,13-15; Daniel 12,13.

[13]  TMN,  Matthieu 11:11.

[14]  TMN, 1 Pierre 3,18,22; Éphésiens 1,20-22; Hébreux 9,24.

[15]  TMN, Jean 14:2, 3.

[16]  TMN, Luc 12, 32 ; Révélation 7, 4 ; 14, 1, 3.

[17]  Livre de chants pour les cultes des Témoins de Jéhovah, 2009 : cantique n° 8 : « Le Repas du Seigneur »

[18]  P. Alexander (et coll.), Le Monde de la Bible, Lion Publishing, Tring, Herts, Angleterre, 1978, p.150 : « Le repas pascal commençait par des actions de grâces – on remerciait Dieu pour le pain. Puis on faisait passer les morceaux de pain azyme. Le même geste, lors de la cène, rappelle que le corps de Jésus a été « donné pour vous. » A la fin du repas juif, on distribuait une coupe de vin. Celle que l’on boit pendant la cène évoque le sang de Christ « versé pour beaucoup ». »   

[19] R. Dericquebourg, Les Témoins de Jéhovah, La montée des phénomènes religieux dans les quartiers  sens, nature et réalité, Huitième rencontre Profession Banlieue, 21 novembre 1996, p.86 : « Seuls ceux qui estiment en toute conscience faire partie des 144.000 élus qui iront siéger aux côtés de Dieu après leur mort prennent les emblèmes ce jour-là. »

[20]  Au Mémorial 2014, les Témoins de Jéhovah, leurs enfants, les sympathisants étaient 19.950.019 assistants. Seuls 14.121 ont participé aux emblèmes (0,070%). Annuaire des Témoins de Jéhovah 2015, p. 176.

 

 Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., L'observance de la Pâque chrétienne chez les Témoins de Jéhovah, Focus sociologique, consulté le [date].

 

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