Les anciens

 

Dans chaque congrégation, il y a donc des anciens, que les Témoins de Jéhovah appellent aussi surveillants. Pourquoi ce terme ? Les Témoins de Jéhovah l’expliquent ainsi : « Au nombre des premières déviations, il y a eu la distinction entre les termes “surveillant” (gr. épiskopos) et “ancien” (gr. présbutéros), qui ont cessé d’être interchangeables, ne désignant plus la même fonction ou responsabilité. À peine une dizaine d’années après la mort de l’apôtre Jean, Ignace, “évêque” d’Antioche, a écrit dans une lettre aux Smyrniotes: “Suivez tous l’évêque [le surveillant], comme Jésus Christ suit son Père, et le presbytérium [le collège d’anciens] comme les apôtres.” »[1]

 

Ainsi sont jetées les bases d’un clergé qui s’impose peu à peu. Environ un siècle plus tard, Cyprien, évêque de Carthage, en Afrique du Nord, est un énergique défenseur de l’autorité des évêques. Selon lui, ils doivent être un groupe à part des presbytres (du grec présbutéros, qui donne presbytre, puis par élision prestre, et enfin prêtres), des diacres et des laïcs. Par contre, Cyprien n’est pas pour la primauté d’un évêque sur les autres. À mesure que les évêques et les presbytres gravissent l’échelle hiérarchique, ils laissent au dessous d’eux le reste des croyants de la congrégation, ce qui a pour résultat la séparation entre le clergé (ceux qui sont à la tête) et les laïcs (l’ensemble passif des croyants).

 

Les Témoins de Jéhovah citent une explication de la Cyclopedia de McClintock et Strong: « À partir de Cyprien [qui mourut vers 258], le père du système hiérarchique, la distinction entre clergé et laïcs prit de l’importance et, très vite, fut universellement admise. Pour preuve, à partir du IIIe siècle, le terme clerus (...) fut presque exclusivement appliqué au ministère pour le distinguer de la laïcité. À mesure que se formait la hiérarchie [catholique] romaine, le clergé ne devint pas seulement un ordre distinct, (...) mais il finit aussi par être reconnu comme l’unique prêtrise. »

 

Leur conclusion : en quelque 150 ans à compter de la mort du dernier apôtre (Saint Jean), deux profonds changements modifient l’organisation de la congrégation (de l’Église) ; 1) d’abord, la séparation entre l’évêque et les presbytres, l’évêque occupant le sommet de l’échelle hiérarchique; 2) ensuite, la séparation entre le clergé et les laïcs.

 

Ce point de vue est largement corroboré par Alfred Kuen. Cet auteur et traducteur de la Bible explique que, sous la nouvelle alliance du Christ, il n’y a plus de distinction entre sacré et profane, entre officiants et simples membres de l’Église, entre clergé et laïcs. Il parle plutôt du sacerdoce universel des croyants, idée chère aux Protestants.[2]

 

En ce qui concerne l’équivalence et le sens des mots ancien (‘prêtre’) et surveillant (‘évêque’), Alfred Kuen confirme : « Le mot épiskopos (qui a donné par francisation le mot évêque) vient du monde grec. (…) Dans la septante, il a le sens de surveillant. (…) On peut conclure de l’usage de ces termes qu’il n’existait pas de stéréotypie dans les Églises primitives, mais bien une fonction de direction reconnue par tous qui prenait selon les endroits, les besoins et les moments, des noms divers. Le terme ‘ancien’ souligne la dignité de l’office (comme au temps d’Israël), ‘évêque’ en souligne la fonction (= surveillant), ‘pasteur’ (berger) décrit le travail accompli à l’égard des brebis, ‘conducteur’ (Héb. 13 : 7, 17, 24) décrit la position du guide qui indique la direction par son exemple, son influence ou son conseil. »[3]

 

Terminant son raisonnement, Alfred Kuen confirme encore la compréhension des Témoins de Jéhovah à propos des ministères dans l’Église (la congrégation) : « Au IIe et au IIIe siècle, on distinguait les deux termes, mais « au IVe et au Ve siècle, dit Lightfoot, dans tous les commentaires grecs ou latins leur identité primitive est affirmée. (…) Au IVe siècle, Jérôme, le traducteur de la Bible en latin dit clairement que la distinction entre anciens et évêques provient d’une coutume de l’Église mais non d’un commandement du Seigneur ou d’une institution des apôtres. (…) En fait, le ministère résulte davantage d’une dégénérescence du ministère d’apôtre (abandon de l’itinérance, fonctionnarisation) que d’une évolution du presbytérat (…). » 

 

Ainsi, la conclusion est celle-ci : ancien, évêque et pasteur désignent fondamentalement la même personne sous des aspects différents. « Calvin a bien reconnu l’équivalence de la plupart de ces termes : « Si j’ai nommé indifféremment ceux qui ont le gouvernement de l’Eglise évêques, prêtres, pasteurs et ministres, je l’ai fait suivant l’usage de l’Écriture qui prend tous ces mots pour une même chose. » »

 

La position des Anciens des Témoins de Jéhovah rappelle clairement leur protestantisme : « [Avec le protestantisme], une nouvelle figure sociale émerge : le pasteur. En partie fonctionnarisé, inséré dans un système relativement pyramidal où il se trouve surveillé par des surintendants et un consistoire central, il peut faire preuve d’un certain conformisme. Mais il a aussi un rôle autonome. Et s’il ne saurait prétendre être un personnage sacré comme le prêtre – il se marie, il a une vie familiale -, il possède un incontestable prestige socio-culturel. Son activité principale est la prédication en langue vernaculaire. On a tendance à le juger sur son contenu et aussi sur l’aspect exemplaire de sa vie de famille. Il va donc être porteur de nouvelles valeurs : l’autorité paternelle, l’amour conjugal, l’affection portée aux enfants. La « famille chrétienne » devient un idéal. »[4] 

 

Les anciens (pasteurs jéhovéens) organisent les choses selon le contexte de leur propre asemblée (Église locale), au sein du collège presbytéral local, sous la supervision du collège central, relayé par les surveillants itinérants envoyés par le Béthel ou réside le consistoire national. Ils dirigent l’enseignement dans la congrégation [5]« Le premier synode des Églises réformées a lieu à Paris, en 1559, un peu à l’insu des Genevois. (…) Le synode adopte une confession de foi qui sera définitivement établie en 1571 au synode de La Rochelle. La Confession de La Rochelle veut montrer le caractère chrétien (…) et protestant (…) des Eglises réformées. On élabore également une Discipline que les anciens devront faire respecter dans chaque communauté. (…) Le régime ecclésiastique est presbytéro-synodal : au niveau de l’Église locale le pouvoir appartient au collège des anciens (presbytres) et au pasteur. Les synodes permettent une coordination, une mise en commun entre les différentes Églises réformées. (…) Le synode n’a plus d’existence dès que ses séances sont achevées et aucun conseil ne se réunit à un niveau régional ou national entre deux synodes. »[6]  

 

Les anciens sont aidés par des assistants ministériels (ou diacres) [7]. Ces hommes ne sont pas considérés comme supérieurs aux autres membres de la congrégation. Ils ne portent pas non plus de titre particulier. Dans le cadre des observations participantes effectuées dans leurs Salles du Royaume, on n’entend jamais quelqu’un appeler un ancien par un titre quelconque. Tous s’appellent par leur prénom avant et après le culte. Pendant le culte, les participants utilisent la même expression pour tout le monde « frère untel » ou « sœur unetelle ». Les anciens ne s’habillent pas d’une manière spéciale, pas non plus de costume de clergyman. Ils ne sont pas non plus payés pour ce qu’ils font. Ce sont tous des bénévoles. Les anciens s’occupent gratuitement des besoins spirituels de la congrégation. (Il n’y a, à ce jour, aucun ministère pastoral professionnel dans les congrégations des Témoins de Jéhovah[8].)

  

En plus de la direction de l’enseignement dans le cadre des cultes, ils remplissent une fonction de pasteur en apportant réconfort et conseils à ceux qui en ont besoin. Ils semblent que les anciens soient très respectés dans les congrégations des Témoins de Jéhovah. On voit en eux des exemples de vie chrétienne à suivre surtout qu’ils sont en grande majorité mariés et pour la plupart ont des enfants.

 

Leur ministère est résumé ainsi et on notera avec intérêt la référence à l’œuvre pastorale de Charles Russell, leur fondateur : « Jésus a donné à la congrégation “ des dons en hommes ”, certains en qualité de “ pasteurs ” (ou bergers) qui traitent le troupeau de Jéhovah avec tendresse (Éphésiens 4:8, 11 ; Jérusalem). Charles Russell, le premier président de la Société Watch Tower, fut l’un de ces hommes. L’amour et la compassion avec lesquels il faisait paître le troupeau sous la direction du Berger en chef Jésus Christ lui ont valu d’être appelé le pasteur Russell. Aujourd’hui, les anciens de la congrégation chrétienne sont établis par le Collège central des Témoins de Jéhovah, et l’on veille à ne pas utiliser des termes comme “ pasteur ”, “ ancien ” ou “ enseignant ” en manière de titres (Matthieu 23:8-12). Il n’en demeure pas moins que les anciens effectuent une activité pastorale, une tâche de berger, pour le bien des brebis du pâturage de Jéhovah. »[9]

 

Comment sont-ils qualifiés ? Les Témoins de Jéhovah sont les Étudiants de la Bible. C’est un point qu’il ne faut pas oublier pour bien comprendre leur mouvement. Pour eux, la qualification des anciens vient par l’acquisition et la mise en pratique de connaissances bibliques. « Un ancien qui n’a pas eu de formation intellectuelle peut aisément la compenser aujourd’hui par la lecture. Lecture et étude de la Bible d’abord, pour en acquérir une connaissance approfondie, mais aussi d’autres livres propres à améliorer la connaissance de la parole et du cœur humain. (…) »[10]

  

Comment sont-ils nommés ? Ce sont les anciens déjà en place qui recommandent de nouveaux frères à cette fonction. Ceux-là ont d’abord servi comme assistants ministériels (diacres) et ont montré leur aptitude à diriger et à enseigner.

 


[1]  Les Témoins de Jéhovah, prédicateurs du Royaume de Dieu, WTPE, 1993, pp. 35-36. 

[2] A. Kuen, Ministères dans l’Église, chapitre 3 : Les ministères sous l’ancienne et sous la nouvelle alliance, St-Léger, Suisse, Emmaüs, 1983, p. 36-52.

[3]  idem, chapitre 7 : Les Anciens, p.90-100.

[4]  J. Baubérot, Histoire du protestantisme, Paris, PUF, 1987, p.19.

[5]  TMN, 1 Timothée 3, 1-7 ; 5, 17.

[6]  J. Baubérot, Histoire du protestantisme, Paris, PUF, 1987, pp.30, 31.

[7]  TMN, 1 Timothée 3, 8-10, 12, 13.

[8] A. Kuen, Ministères dans l’Église, chapitre 11 : Formes et modalités du ministère pastoral, Avantages d’un ministère pastoral non professionnel, St-Léger, Suisse, Emmaüs, 1983, pp. 136-139.

[9]  Des anciens qui font paître le troupeau de bon gréLa Tour de Garde, 15 janvier 1996, pp. 15-16. 

[10] A. Kuen, Ministères dans l’Église, chapitre 8 : Qualifications des Anciens, St-Léger, Suisse, Emmaüs, 1983, pp. 101-109.

 

Référence universitaire pour citer cet article :

- Barbey Ph., Les Témoins de Jéhovah, mode d'organisation : Les anciens, Focus sociologique, consulté le [date].

 

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