Un témoignage éclairant 

Sur la Russie de Vladimir Poutine

par Anna Politkovskaïa

 

 

 

" Je suis indifférente à l'homme dénommé Poutine, mais je n'aime pas le président qui porte ce nom. C'est une question de principe : je considère qu'il dirige mal mon pays. Un président doit veiller à ce que les gens vivent en sécurité et dans l'aisance, à ce qu'ils aient une protection sociale et jouissent des libertés. Et qu'est-ce qui se passe chez nous ?

Les libertés sont brimées, l'appauvrissement de la population continue, les richesses du pays ne profitent qu'aux oligarques et aux bureaucrates proches du pouvoir, l’État ne fait rien pour soutenir socialement les pauvres, les victimes du terrorisme, les victimes de la guerre en Tchétchénie. Vladimir Poutine a créé un système de pouvoir que l'on peut qualifier d'oligarchie politique. L'administration présidentielle (qui n'est pas un organe constitutionnel) assure le fonctionnement de cette machine étatique où tout obéit aux commandes d'une seule personne, comme s'il était un tsar : le gouvernement, la Douma, la justice; où l'on ne peut notamment compter sur une instruction honnête, sur un procès honnête. Ce système arrange un cercle étroit des proches du président, une nouvelle élite de profiteurs, mais il entraîne dans l'abîme. Sous Poutine, en absence de la démocratie, la corruption a pris des proportions inouïes, elle est en train de ronger les entrailles du pays. Aujourd'hui, tout se monnaie en Russie. (...)

Pourquoi je n'aime pas Poutine ? Parce que je ne veux pas vivre dans un État raciste où il est mortellement dangereux d'être un Tchétchène, un Géorgien, un Noir, un Autre. Je ne veux pas vivre dans un État où le pouvoir qui ne reconnaît aucune de ses erreurs est à la recherche d'ennemis intérieurs ou extérieurs. Les gens qui démontrent leur opposition au régime sont ouvertement traités  d'ennemis intérieurs : ils sont persécutés, contraints à l'exil, assassinés (...). Pour ce qui est de l'ennemi extérieur, la propagande antioccidentale et surtout, antiaméricaine bat son plein.

 

Je ne veux pas vivre dans un État qui est en pleine régression antidémocratique, qui retombe dans le stalinisme. (...). Mais moi je ne veux pas vivre dans un État fort, dans un Empire. Je veux vivre dans un État où les gens ont la possibilité de mener une vie digne et paisible, où ils ont un travail et un logement, où ils ont la possibilité de s'exprimer librement (...).

J'aime la Russie. Le régime de Poutine est une lourde épreuve qui nous a été envoyée, et il faut la traverser avec honneur. J'espère que notre peuple saura se surpasser, cela est déjà arrivé dans notre histoire. Plusieurs de mes amis ont quitté la Russie, car ils ne voyaient plus aucune raison d'y rester, mais moi, je reste, car j'espère ce retournement intérieur."

 

 

La voix d'Anna, Galia Ackerman, journaliste à RFI, traductrice des ouvrages d'Anna Politkovskaïa, in Hommage à Anna Politkovskaïa, Buchet Chastel, 2007, pp. 47-49, 52.

 

La journaliste Anna Politkovskaïa a été assassinée le 07 octobre 2006 par un membre retraité de la police de Moscou. A ce jour, le commanditaire de cet assassinat politique est resté inconnu.

 



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